Le secret de la Sapinière
Le secret de la Sapinière
...
Claude se retourne dans son lit ; ce diable d’orage gagne encore en violence... Un tonnerre détonne tout près.
Claude se dresse comme un ressort. Il croit avoir entendu frapper à la porte d’entrée.
Les arbres voisins gémissent.
Claude retient sa respiration.
Il lui semble que le vent a transporté un appel couvert par le grondement de l’orage. Un éclair déchire le ciel, illumine le jardin. Claude regarde dehors et son sang se glace subitement : pendant une fraction de seconde, il a aperçu une silhouette.
Soudain, on frappe à la fenêtre redevenue obscure ; Claude ne peut retenir une exclamation.
Claude bondit hors du lit, s’habille en hâte, va ouvrir la porte d’entrée.
— Ohé ! appelle Claude, dont les syllabes sont emportées par une rafale de vent.
Lorsque l’ombre surgit de la nuit, Claude ne peut s’empêcher de tressaillir.
— Comment, toi, Loulou ? constate-t-il avec un soupçon de déception.
En secret, il avait attendu Sam, son père.
Un coup de vent les asperge de pluie.
— Rentre vite, conseille Claude.
Il referme la porte sur son ami.
— Excuse-moi de te déranger à cette heure, commence Loulou.
Il se débarrasse de sa pèlerine.
— Tu prends un cognac ?
— Volontiers, par ce sale temps.
Les deux amis prennent place au salon.
Le morbier égrène deux heures de sa voix centenaire.
— J’ai pensé t’en parler entre quatre yeux, Claude. Ça concerne Sam...
— Vas-y ! encourage Claude en fixant son ami.
— Je n’ai pas voulu que Monia nous entende...
— Tu crois que... commence Claude.
— On ne sait jamais. Et puis, depuis quelque temps...
— Tu aurais remarqué quelque chose de changé ?
— Il me semble que Jacky s’est épris d’elle...
— Ah oui ? Jacky, notre célibataire endurci ?
— En plus, le cousin de Monia, ce Paul Sourdres, je...
Un éclair lacère le ciel, un tonnerre explose immédiatement après.
— Il n’est pas tombé loin, celui-là, constate l’imprimeur, pragmatique.
— En effet, concède Claude qui remplit les verres à nouveau. Donc, tu penses que...
— Monia n’a qu’un deux-pièces. Le Terminus n’est pas grand et n’a pas de chambre d’hôte. Alors, ce cousin est peut-être plus un amant qu’un parent...
— Et Jacky, qu’en pense-t-il ?
— Il ne supporte pas la plaisanterie lorsqu’il s’agit de Monia. Un jour que Sam et moi avons dit que ce Paul Sourdres la couvait de yeux, Jacky s’est fâché tout rouge. Depuis, on n’a plus reparlé du cousin Paul qui a attendu presque trente ans avant de venir visiter sa cousine...
— Mieux vaut tard que jamais, avance Claude, un brin agacé par la tournure que prend la conversation.
— Surtout que ce cher cousin vient de plus en plus souvent.
— Et de mon père, attaque Claude, que sais-tu ?
— La dernière fois que j’ai vu Sam, c’était samedi passé, il y a donc juste une semaine, au Terminus. Il nous a parlé de ta venue ; il était tout content, ce qui contrastait avec l’humeur maussade de Jacky ; notre mécano surveillait du coin de l’œil le cousin Paul qui semblait devoir confier un secret à Monia, tant ils étaient près l’un de l’autre.
Le vent hurlant secoue de plus en plus Heurtebise ; des volets claquent au mur ; la pluie crépite sur les carreaux ; les arbres gémissent et des bourrasques descendent dans la cheminée ; on pourrait croire que tous les démons se sont donné rendez-vous lors de cette nuit d’orage.
Loulou, à cause de ce vacarme, se rapproche de Claude et continue en étouffant sa voix, comme s’il craignait qu’on ne l’entende.
— Puis, continue l’imprimeur, je...
À ce moment, lors d’un hurlement de vent qui ressemble à un sanglot de chien appelant la mort, la lumière s’éteint, plongeant la pièce dans l’obscurité. Les éclairs sporadiques transforment les ombres des objets en silhouettes menaçantes.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 11 autres membres