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Mortels courriels

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Chapitre 1

 

 

C’est un jeudi triste, aussi funèbre qu’un Vendredi saint.

La nouvelle paralyse tout le monde : Milène-Julia Vuchet est morte.

Ses enfants, Mathieu et Janice, la pleurent. Émile Vuchet, l’époux, n’est pas là. Il vient de plaquer femme et enfants ; ça lui ressemble bien, de fuir ses responsa-bilités humaines alors qu’il prône l’engagement professionnel. Il y a deux jours, Janice a tenté de l’atteindre, par courriel, puis par téléphone. La seule réaction est venue d’une collaboratrice qui lui a dit que son père se trouvait en déplacement, qu’il était inatte-ignable pour le moment, mais qu’elle allait transmettre le message le plus vite possible ; et elle avait donné à Janice quelques conseils : aviser la parenté, les amis, prévoir un repas, s’occuper des affaires administratives.

Le ciel est gris. Un vent de cafard chasse les feuilles mortes.

Mathieu renifle.

Janice s’active comme l’aurait fait Milène-Julia. Par moments, elle recherche la présence de Max, son ami, comme l’avait fait sa mère, avec Émile, quand ils s’aimaient encore.

Les cyclamens éclaboussent de sang les chrysanthèmes.

Les copines et les copains sont venus. Ils n’ont pas beaucoup d’argent ; le cœur gros, ils ont amené, dans des bougeoirs rouges, des bougies blanches, celles qui brûlent dans les cimetières et qu’on achète au supermarché. Antoine, un chien recueilli sur une plage espagnole, est de la partie. Humant la tristesse des humains, il gémit, pleure par moments.

 

Lorsqu’Émile Vuchet arrive à son ancien domicile, Janice, Mathieu et quelques potes écoutent Amaizing Grace. Des bougies grillent l’oxygène de la pièce. Émile se compose un visage de circonstance. Il est triste de la mort de son épouse, bien qu’il eût décidé de la plaquer, quelques jours auparavant, pour Josée.

— Tu fais quoi, ici ? demande hargneusement Mathieu.

— C’est… c’est quand même ma femme, patauge Émile Vuchet.

— C’était ! crache Janice.

On sonne. Un malabar amène une grande couronne ; c’est un chauffeur nommé Albert qui vient au nom de Transair ; cet employeur d’Émile Vuchet n’a pas lésiné sur la dépense.

Janice met le CD Comme le cerf crie…Tout le monde écoute silencieusement ce chef d’œuvre de Mendelssohn.

La police téléphone : il faut aller à la morgue, identifier la dépouille de madame Milène-Julia Vuchet.

Émile Vuchet charge la couronne dans sa voiture, ainsi que quelques fleurs en pots.

Le trajet à la morgue est lugubre. Émile Vuchet écoute les nouvelles de quinze heures.

 

Milène-Julia Vuchet rentre de sa sortie ornithologique. Quinze heures sonnent à l’église du quartier.

En arrivant devant la porte de leur maisonnette, elle entend Candle in the Wind accompagné par Antoine qui gémit. 

Elle ouvre précipitamment.

Le chien hurle à la mort.

Des bougies brûlent, des jeunes, assis en tailleur, écoutent la musique en silence.

Une jeune fille lève les yeux ; elle s’évanouit : elle a reconnu Milène-Julia, qui demande :

— C’est quoi, cette mascarade ?

Max, l’ami de Janice, est le premier à se reprendre. Il bredouille :

— Mais… mais… Madame Vuchet, on a annoncé votre décès.

 

 

Editions AlterPublishing



11/09/2021
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